Sécurité alimentaire

Sécurité alimentaire

La sécurité alimentaire est relative à une nourriture de qualité et quantité suffisante pour notre bien-être et santé.

Nous allons donc penser à la biodiversité nutritionnelle !

Cet article est une synthèse des recherches de Fayçal Kefi, Martine Padilla. La biodiversité naturelle et agricole garantit-elle la sécurité alimentaire des populations ?

Biodiversité nutritionnelle : un atout pour la sécurité alimentaire

Nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer le contenu nutritionnel de nos aliments. En effet, les carences alimentaires favorisent l’apparition de nombreuses maladies (diabète, cancer, obésité, retard de croissance, anémie, etc).

L’éco-nutrition est un concept innovant qui est utilisé pour décrire la relation entre l’alimentation, la santé humaine, l’environnement, l’agriculture et le développement économique (1)

Toutefois, le concept de biodiversité et ses limites ne sont jamais clairement définis. Une revue de la littérature (34 études) résume les données actuelles sur la contribution de la biodiversité végétale et animale à l’alimentation humaine en termes de consommation d’énergie et d’apport global en micronutriments (2). La diversité de la production agricole peut aussi influencer la diversité des régimes alimentaires des ménages. Pourtant, peu de recherches empiriques ont évalué cette relation ou les mécanismes de causalité plausibles (3).

Par ailleurs, lorsque l’on parle de diversité alimentaire, on évoque les différents groupes de macronutriments (protéines, lipides, glucides) ou la diversité à l’intérieur de chacun de ces groupes. Mais on évoque rarement la diversité intra-spécifique, autrement dit la diversité génétique des espèces agricoles cultivées et des espèces animales élevées. Or, celle-ci est sans doute la clé de la résolution du problème de la « faim cachée ». Cette question est d’autant plus cruciale que de plus en plus de chercheurs évoquent les « aliments creux ». Aux États-Unis et au Royaume-Uni, une recherche portant sur la densité moyenne des légumes en calcium (Ca), en cuivre (Cu) et en fer (Fe), et des fruits en cuivre (Cu), en fer (Fe) et en potassium (K), montre une diminution très marquée de celles-ci depuis les années 1930 (4). Une des causes en serait un recours accru à des méthodes de production intensive avec une utilisation excessive d’intrants qui augmenterait la vitesse de croissance des plantes et diminuerait d’autant le temps nécessaire à l’élaboration des micronutriments. Pourraient être également en cause les traitements de conservation apportés et l’allongement des temps de transport. Ainsi, certains fruits, cueillis trop tôt, ne bénéficieraient pas d’un ensoleillement suffisant pour permettre la production de certains nutriments, comme des anthocyanines ou des polyphénols (5).

La diversité alimentaire suffit-elle aujourd’hui à garantir la sécurité nutritionnelle ?

Pour estimer le rôle nutritionnel de la biodiversité, (Kefi et Padilla, 2015) ont mobilisé un indicateur qu’ils ont appliqué à toutes les espèces et variétés d’un même produit, le MAR (Mean Adequacy Ratio) (6), qui représente la contribution en micronutriments d’un aliment donné entrant dans la composition d’une ration journalière d’un adulte en France (données de l’enquête INCA2) par rapport aux apports nutritionnels conseillés (ANC).

Cet indicateur est appliqué à l’ensemble des micronutriments d’un aliment donné, puis à ses vitamines et à ses minéraux. Habituellement, cet indicateur est utilisé pour évaluer l’apport nutritionnel d’un régime alimentaire pris dans sa globalité, et non pour un seul aliment (7).

La démarche a été appliquée à quatre produits : le poisson, le riz, le lait et les pommes de terre.

Le poisson

Pour le poisson, la méthodologie a été appliquée aux 38 espèces de poissons disponibles dans NUTRAQUA pour 9 vitamines et 9 minéraux. Il a été supposé qu’un consommateur français choisirait une seule espèce dont il consommerait une quantité de 26,6 g/jour (INCA2). Les valeurs de l’indice MAR global révèlent une grande différence d’une espèce à une autre dans les contributions nutritionnelles par rapport aux apports conseillés, avec des écarts pouvant aller de 1 à 6. Sans vouloir stigmatiser certains produits, on constate néanmoins que l’espèce Trachurus trachurus (le chinchard gras) pêché est beaucoup plus dense en nutriments que l’espèce Pangasius (poisson-chat du Mékong) issue de l’aquaculture, qui est très fréquemment utilisée dans la restauration collective, mais qui occupe la dernière place en matière d’apport nutritionnel.

Si nous distinguons les minéraux des vitamines, alors l’espèce chinchard gras est la plus riche en vitamines, tandis que l’espèce grenadier de roche (Coryphaenoides rupestris) pêché occupe la dernière place. Pour les minéraux, le thon germon maigre (Thunnus alalunga) pêché est le plus dense, à l’opposé de l’espèce Pangasius. Ces variations sont significatives, en particulier pour les vitamines.

En conclusion, la différence entre les 38 espèces de poissons analysées est significative ; cela veut dire que l’impact nutritionnel du choix d’une espèce plutôt que d’une autre est loin d’être négligeable. Mais voyons plus précisément pour quelles vitamines et pour quels minéraux la variabilité est la plus grande

Les poissons sont particulièrement importants et recommandés pour leurs apports en vitamine B12 (avec une moyenne de 32,5 % des apports conseillés) et en vitamine D (avec 27,2 %), puis (dans une moindre mesure) en vitamine B3 (avec une moyenne de 7,3 %). Le poisson contribue aussi significativement à la couverture des apports conseillés en sélénium (21,3 %), en iode (8 %) et en phosphore (5,9 %). Toutefois, c’est précisément pour ces micronutriments que l’on observe la plus forte variabilité entre les espèces, en particulier pour la vitamine D. Nous avons identifié les espèces de poissons assurant les apports minimaux et maximaux pour les principaux micronutriments (voir le Tableau 1).

Dans les valeurs minimales apparaissent le plus fréquemment le pangasius (ou panga) et la sole tropicale (Euryglossa orientalis). Pour les maximales, le thon et le hareng sont parmi les leaders.

Allant bien au-delà de la production de données moyennes par espèce, certaines études se sont attachées à comparer la composition de la chair du saumon d’élevage à celle de son homologue sauvage. La première contient trois fois moins d’oméga-3. En effet, les poissons ne fabriquent pas eux-mêmes les acides gras, ils les assimilent à partir de leur nourriture. Or, les saumons d’élevage sont nourris avec de la farine et des huiles issues de petits poissons très pauvres en oméga-3 (8).

En ce qui concerne le saumon Atlantique, des différences peuvent être constatées en faveur de l’espèce élevée pour les vitamines B3 et B12 (respectivement de 3,3 % et 5,8 %) et en faveur de l’espèce sauvage pour la vitamine B2 (avec une différence de 3,4%).

En ce qui concerne le bar commun, il a été observé que l’espèce sauvage présente une teneur plus importante en minéraux, ce qui augmente la couverture des besoins (de 1,9 %) en la matière. Cette différence provient essentiellement d’une teneur plus forte en iode et en sélénium (Une teneur également plus forte en ce qui concerne la vitamine D).

L’importance de la biodiversité se traduit aussi par l’apport de nutriments rares, tels que les acides gras polyinsaturés à longues chaînes (AGPI LC) des types acide éicosapentaénoïque (EPA) et acide docosahexaénoïque (DHA). Parmi les 38 espèces de poissons étudiées, le meilleur apport en AGPI LC est assuré par le maquereau (Trachurus trachurus), suivi du rouget-barbet (Mullus barbatus). Pour une consommation journalière de 26,6 grammes, douze espèces de poissons peuvent assurer un apport de plus de 200 milligrammes d’EPA et de DHA. La majorité de ces espèces forment le groupe des poissons gras. Cela signifie que malgré une faible consommation de poissons en France, la probabilité de couvrir ses besoins en EPA et en DHA est forte pour peu que l’on diversifie ladite consommation.

Le riz

Pour le riz, 9 espèces se répartissant entre trois types (riz sauvage, riz blanc et riz brun) ont été étudiées à partir de la base USDA. La quantité référence est de 28,5 g/jour, correspondant à la quantité consommée aujourd’hui en France par un homme adulte (INCA2). Il a été constaté une différence significative entre les différents types de riz, l’espèce la plus riche étant le riz sauvage (indice MAR : 7,44 %), suivie du riz brun (MAR : 4,91 % – 5,48 %) et, enfin, du riz blanc (MAR : 1,54 % – 4,90 %).

Cependant, il y a peu de variation entre les différentes variétés d’un même type de riz. Tout comme le blé, le riz est nutritionnellement intéressant pour sa richesse en magnésium, en zinc et en phosphore. C’est pour ces éléments nutritionnels que la dispersion autour des valeurs moyennes est la plus importante. Les vitamines B3 et B6 ont aussi une certaine importance pour la couverture des besoins nutritionnels, et, là aussi, nous avons trouvé une variabilité forte selon les types de riz.

Le lait

Pour le lait, 11 vitamines et 6 composés minéraux ont été pris en considération, pour une quantité consommée de 90 g/jour (INCA2). Cinq types de lait (de vache, de brebis, de chèvre, de bufflonne et de jument) ont été mis à l’épreuve. Le lait, c’est bien connu, est utile pour son apport en calcium, ainsi qu’en phosphore (et, dans une moindre mesure, en zinc). Or, la variabilité pour ces trois éléments est assez importante et la différence est significative. Ainsi, par exemple, pour le calcium, la moyenne du MAR est de 13,2 % et l’écart-type de 3,5 %. Le lait de jument affiche la valeur minimale (avec 9,9 %) alors que le lait de bufflonne correspond à la valeur la plus forte (avec 17,5 %). La vitamine C, les vitamines B2 et B12 et la vitamine A sont aussi des éléments incontournables de la contribution du lait aux apports vitaminiques conseillés : de ce point de vue, le lait le plus profitable est celui de brebis.

Au-delà des différences entre les différents types de lait, il est aujourd’hui démontré (sur la base de 14 études) que le lait issu de l’agriculture biologique contient un taux d’oméga3 supérieur en moyenne de 61 % à celui du lait issu de l’agriculture conventionnelle (9).

La pomme de terre

Pour la pomme de terre, enfin, 6 vitamines et 8 composés minéraux ont été étudiés pour une consommation de 67,1 g/jour (INCA2) pour 68 variétés de pommes de terre. Les valeurs de contribution nutritionnelle des 8 composés minéraux et des vitamines C et B3, ainsi que leur variabilité, sont assez importantes, et la différence est significative. Par exemple, la contribution nutritionnelle en fer varie de 0,4 à 87 %, et celle en calcium varie de 0,1 à 23,4 % ! Pour les apports en minéraux, la variété la plus profitable est Negra (issue de l’espèce Solanum tuberosum subsp. tuberosum), tandis que pour les vitamines, la variété la plus profitable est Cara (issue de la même espèce).

Sur ces bases, en cas de comparaison entre un individu qui consommerait chacun des 4 produits étudiés dans les quantités fournies par INCA2, mais qui choisirait, dans un premier temps, les espèces et les variétés les plus denses nutritionnellement et, dans un deuxième temps, les moins denses, nous pouvons observer que les deux cas présentent entre eux de fortes différences en matière de sécurité nutritionnelle tant sur le plan global que sur le plan vitaminique (l’écart est plus faible en ce qui concerne les minéraux) (voir le Tableau 2 ).

En cumulant les apports de ces 4 produits alimentaires seulement, une différence importante a été constaté (essentiellement au niveau des vitamines). En effet, aucun produit alimentaire n’est dense dans toutes ses composantes nutritionnelles, c’est précisément pour cela que la biodiversité alimentaire est nécessaire. En faisant le choix d’un seul produit ou en ayant une consommation alimentaire monotone, on risque en effet de souffrir de certaines carences.

Quelles différences nutritionnelles entre les produits bio et les produits issus de l’agriculture conventionnelle ?

Pour donner suite au rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (10) sur l’évaluation nutritionnelle des aliments issus de l’agriculture biologique qui a conclu que les différences de composition chimique entre ces produits et ceux issus de l’agriculture conventionnelle étaient faibles et sans effet significatif dans le cadre d’un régime alimentaire global, la controverse demeure.

Selon d’autres études (11), certains fruits et légumes issus de l’agriculture biologique présenteraient des teneurs plus élevées en vitamine C et en polyphénols, mais plus faibles en caroténoïdes. Les produits d’origine animale estampillés agriculture biologique sont souvent plus riches en certains acides gras polyinsaturés, cela s’expliquerait par un mode d’élevage où l’herbe constitue l’élément principal du régime alimentaire des animaux, ceux-ci bénéficiant d’un libre accès au pâturage. Les autres différences de composition lipidique de la viande dépendent essentiellement de l’âge de l’animal. Globalement, les faibles différences observées entre les aliments issus de l’agriculture biologique et ceux qui ne le sont pas, n’auraient de fait aucune répercussion significative sur la nutrition et la santé.

En effet, les résultats de cette étude montrent un effet très positif de l’alimentation bio sur l’adiposité des consommateurs, qui, toutes choses étant égales par ailleurs, diminuerait de près de la moitié. Si en termes d’apports caloriques moyens journaliers, il n’est pas constaté de différences majeures entre les consommateurs de produits bio et ceux n’en consommant pas, les consommateurs de produits bio bénéficieraient en revanche d’apports plus élevés en vitamines et en minéraux (+10 à 20 %), en acides gras oméga-3 (+20 %) et en fibres (+27 %). Enfin, après ajustement, c’est-à-dire après la prise en compte des différences observées par ailleurs entre les non-consommateurs et les consommateurs de produits bio, ces derniers auraient une probabilité moindre d’être en situation de surpoids (Hommes : -36 % et Femmes : -42 %) ou d’obésité (H : -62 % et F : -48 %).

Or, le projet ANR Bionutrinet (mené en synergie avec l’enquête épidémiologique Nutrinet), qui porte sur une vaste cohorte de consommateurs (54 311 au total) de produits bio versus produits conventionnels, vient contredire ces résultats (12).

Conclusion

Pour les nutritionnistes, la qualité d’un aliment comporte deux composantes :  la valeur nutritionnelle et la qualité sanitaire

Du seul point de vue nutritionnel (composition en nutriments), les aliments biologiques ne se différencient pas significativement des aliments conventionnels. Les différences observées ne sont pas reproductibles et toujours faibles.  Leur consommation régulière n’a pas d’effets sur l’équilibre alimentaire des consommateurs. Plus que de manger « biologique », l’important est de manger « varié et équilibré » (13).

Références

  1. Fabrice A. J. DeClerck, Jessica Fanzo, Cheryl Palm, and Roseline Remans. 2011. Ecological approaches to human nutrition. https://doi.org/10.1177/15648265110321S106
  2. Fayçal Kefi, Martine Padilla. La biodiversité naturelle et agricole garantit-elle la sécurité alimentaire des populations ? Annales des Mines – Responsabilité et environnement 2015/3 (N° 79), pages 61 à 67.
  3. BA Jones, GJ Mdden, HJ Wengreen. 2004. The FIT Game : preliminary evaluation of a gamification approach to increasing fruit and vegetable consumption in school. Preventive Medecine. Vol 68, p 76-79. https://doi.org/10.1016/j.ypmed.2014.04.015
  4. PJ White, MR Broadley. 2005. Biofortifying crops with essential mineral elements. ScienceDirect Volume 10, Issue 12: 586-593. https://doi.org/10.1016/j.tplants.2005.10.001
  5. B Haweil. 2007. Still No Free Lunch: Nutrient levels in US food supply eroded by pursuit of high yields.
  6. Madden et Yoder, 1972. Le MAR se calcule selon la formule: (où nn représente le nombre total des nutriments pris en compte, NUTij la quantité du nutriment “j” dans 100 grammes de l’aliment “i” et ANCj l’apport nutritionnel conseillé en nutriment “j”
  7. JP Madden, SJ Goodman, HA Guthrie.1976. Validity of the 24-hr. recall. Analysis of data obtained from elderly subjects. Journal of the American Dietetic Association, 01 Feb 1976, 68(2):143-147.
  8. L Blanchet, A Buonanno, G Faye. 2006. Higher-order spin effects in the dynamics of compact binaries. II. Radiation field. Physical Review D. https://doi.org/10.1103/PhysRevD.74.104034
  9. CM Benbrook, G Butler, MA Latif, C Leifert, DR Davis – PloS one, 2013. Organic production enhances milk nutritional quality by shifting fatty acid composition: A United States–wide, 18-month study. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0082429
  10. 2003. Afssa saisine n°2003-SA-0352 Liée n°2003-SA-0056
  11. Lairon, 2010. Nutritional quality and safety of organic food. A review. Agronomy for sustainable development 30, pages 33–41.
  12. Kesse-Guyot, S Péneau, C Mejean. 2013. Profiles of organic food consumers in a large sample of French adults: results from the Nutrinet-Sante cohort study. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0076998
  13. Pierre Feillet. 2018. Tout savoir sur notre alimentation. Démêler le vrai du faux. https://doi.org/10.1051/978-2-7598-2177-8

 

 

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